Les filières du grand âge et notamment les Ehpad font face à une pénurie de personnels soignants, accentuée par l'épidémie de Covid-19. ©Shutterstock

Avec 100 000 postes vacants, le manque de soignants fait des ravages dans le privé comme dans le public. Exacerbé par la crise sanitaire, le phénomène n’épargne pas le secteur du grand âge, lancé dans une profonde opération de réhabilitation de ses métiers autour d’un critère devenu incontournable : le sens.

Bien sûr, le Covid-19 est passé par là. Il a cristallisé le mal-être général des soignants, étouffant au passage quelques vocations pourtant bienvenues. Mais le mal est plus profond et le manque de personnel de santé bien antérieur à l’épidémie. En France, la FHP (Fédération Hospitalière Privée) fait état de 100 000 postes à pourvoir, secteurs privés et publics confondus. « Cette pénurie est structurelle », confirme Nicolas Vial, directeur général d’Adecco Medical France. « Nous rencontrons depuis une dizaine d’années de lourdes difficultés de recrutement. Et ce, avec une tension particulière sur les métiers d’infirmiers et d’aides-soignants ».

34 000 infirmiers et 24 000 aides-soignants, les besoins sont connus. Notamment dans les filières du grand âge. Où ces métiers commandent, en plus d’un savoir-faire technique, une empathie et un sens du contact que le manque de moyens gomme dans des proportions inquiétantes. En 2019, soit bien avant l’épidémie de Covid-19, une infirmière d’un Ehpad ardéchois révélait l’étendue du problème dans un ouvrage choc “J’ai rendu mon uniforme” (éditions du Rocher). Mathilde Basset, épuisée, craquait « après une succession de journées au cours desquelles (elle avait) couru contre la montre, délivré des soins à la chaîne en négligeant la relation humaine, jusqu’à commettre des erreurs mettant en danger les résidents… »

« La crise actuelle pompe toutes les ressources »

Le secteur souffre, et son attractivité en fait les frais. « J’ai depuis 2014 trois nouveaux postes que je n’ai jamais réussi à pourvoir », témoigne Olivier Geffroy, directeur d’un Ehpad à Caluire-et-Cuire (Rhône). Celui qui est aussi délégué départemental de la FNADEPA (Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées) pointe avant tout un problème générationnel. « Les jeunes boudent les CDI. Ils préfèrent les CDD et contrats d’intérim qui leur permettent de gérer leurs plannings comme ils l’entendent et de mieux gagner leur vie ». L’évolution de l’activité, aussi, confronte les soignants « à une surcharge permanente de travail, alors que nos résidents sont de plus en plus dépendants et nécessitent toujours plus de soins. Le métier se résume à des gestes techniques, là où l’aspect humain, source de vocation de ceux qui s’orientent vers ces professions, est essentiel ».

Cette tension n’est donc pas aidée par la conjoncture : « la crise actuelle pompe toutes les ressources de remplacement. Les infirmiers, dans les centres de vaccination, sont deux fois mieux payés à la journée ! », poursuit le directeur d’Ehpad, très pessimiste pour les mois à venir.  « On entre dans une spirale pernicieuse, avec des équipes réduites et épuisées, un absentéisme qui s’envole, un taux d’accidents du travail supérieur à celui du BTP… C’est très compliqué pour tout le monde et nous sommes très inquiets pour cet été, car de nombreux établissements vont fonctionner en mode dégradé ».

L’enjeu : restaurer l’attractivité des métiers du grand âge

En Auvergne-Rhône-Alpes, le besoin immédiat toutes filières confondues s’élève à 1500 postes, principalement d’infirmiers et d’aides-soignants. Dont une partie liée aux congés des soignants laminés par 15 mois de mobilisation. « 60 à 70% de ces postes » devraient être pourvus, selon Nicolas Vial. Certains resteront sur le carreau, donc, et d’autres besoins se seront créés entretemps. « Dans un moyen terme, nous aurons plus de solutions, mais la situation reste compliquée pour l’instant ».

Tout l’enjeu, sur la durée, reste de restaurer l’image écornée de ces professions et de mieux accompagner les vocations nouvelles, liées notamment à cette volonté de se tourner vers une carrière utile. « Ce sont des métiers qui ont manqué de visibilité et qui ne sont pas nommés par ceux qui cherchent un emploi. Ils souffrent d’une connotation sur la rémunération, sur l’environnement de travail, sur un équilibre pro/perso qui est devenu un critère clé de nos jours », suggère le directeur général d’Adecco Médical.

« Il faut faire en sorte que l’on parle autrement de ces métiers », indiquait le 12 mai dernier sur l’antenne de RTL Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée à l’autonomie. « Nous avons augmenté fortement le taux d’encadrement, revalorisé les salaires avec le Ségur dans les Ehpad ». Les intentions sont là, mais elles tardent à se concrétiser. « Il y a eu beaucoup d’effets d’annonce, mais on ne voit rien venir et les chaises, dans les centres de formation, sont vides ! », regrette Olivier Geffroy.

Des actions concrètes sur le long terme

« Il y a un effet d’inertie. Créer des compétences demande du temps et il en faudra pour pourvoir les besoins », rassure Nicolas Vial. Le Ségur de la Santé a comblé une partie de la problématique salariale (183€ net en plus par moins pour 1,5 millions de professionnels de santé, notamment en Ehpad). Et d’autres leviers ont été activés. Adecco Médical accompagne ainsi des agents de service hospitaliers (ASH) et auxiliaires de vie désireux de se tourner vers le métier d’aide-soignant. Et ce, à travers la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE). « Nous travaillons aussi sur des dispositifs d’alternance pour des candidats en reconversion ». Promise par le premier ministre, Jean Castex, la levée des quotas des apprentis pour les formations d’aide-soignant et d’infirmer devrait aussi favoriser ces reconversions.

Un secteur « dynamique » et « prometteur »

Les initiatives se multiplient et la filière compte bien apporter son écot. « Plusieurs acteurs réunis au sein du collectif “Les métiers du Grand Âge’’. Initié par le Synerpa, ils s’engagent de nouveau pour mettre à l’honneur la diversité des métiers et le dynamisme du secteur du Grand Âge », confirme Pierre-Yves Guiavarch, délégué régional du Syndicat national des établissements et résidences privées et services d’aide à domicile pour personnes âgées. « La crise du Covid-19 a rappelé l’engagement exceptionnel et le rôle indispensable des personnels des Ehpad, des Résidences Services Senior ou des Services d’Aide et d’Accompagnement à Domicile. La crise des vocations constatée ces dernières années n’est pas une fatalité ! Le secteur est aujourd’hui l’un des plus dynamiques et prometteurs pour la création d’emplois ».

Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée à l’autonomie, en fait même « le deuxième vecteur d’emplois le plus important » de ces prochaines années. La question de la rémunération partiellement réglée, le renforcement des perspectives d’évolutions et l’adaptation aux envies des générations actuelles devraient effacer peu à peu ce déficit d’attractivité. « Il y a de vraies opportunités pour tous ceux qui cherchent un emploi stable, en CDI, facile d’accès pour ce qui est notamment du métier d’aide-soignant. Et surtout, où l’on se sent résolument utile. Ce qui dans le contexte actuel devrait favoriser les vocations », résume Nicolas Vial.

« Ces professions offrent en effet une visibilité sur toute une carrière, ne nécessitent pas de grands diplômes et ont aujourd’hui une rémunération tout à fait correcte », conclut Olivier Geoffroy. « Le tout dans un environnement d’une grande richesse, dans des lieux où les personnes âgées revivent en retrouvant le lien social. Oui, ce sont de très beaux métiers ». À bon entendeur.

À SAVOIR

L’OMS s’inquiète d’une pénurie de personnels qui s’accroît dans le monde. Dopée par un épuisement psychologique général. Six millions d’infirmières manquaient déjà à l’appel avant le début de l’épidémie. Et les prévisions les plus alarmantes font état de 10 millions de défections supplémentaires d’ici à 2030. Principalement dans les pays les plus pauvres (89%), entre effet Covid et départs à la retraite.

2 Commentaires

  1. d’autant plus qu’en ce moment, beaucoup de démissions : le personnel infirmier est confronté à de nombreux risques professionnels, biologiques évidemment du fait de sa proximité avec des malades et du COVID-19, mais aussi psychologiques par côtoiement constant avec des personnes souffrantes.
    Ces risques infectieux nosocomiaux sont aggravés par des conditions de travail stressantes : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/risque-biologique/la-prevention-des-risques-des-soins-infirmiers-risques-professionnels-infirmieres

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