Dérives alimentaires
Culpabilité, frustration... Les dérives d'une alimentation soumise aux tendances mène tout droit aux troubles alimentaires, telles l'anorexie mentale ou la boulimie. ©Freepik

Entre produits bio et aliments interdits, la quête d’une alimentation saine fait son chemin au cœur d’une foule de régimes restrictifs. Mais cette évolution est-elle vraiment bonne pour notre santé ? Les réponses de Nicolas Tête, diététicien et professeur en nutrition à l’Institut Paul Bocuse (Rhône)

Pour manger sainement, doit-on forcément exclure certains aliments ?

Non. On observe une confusion des genres entre ce qui est sain et ce qui ne l’est pas. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il n’y a pas d’aliments interdits. Vous pouvez manger de tout, sauf évidemment en cas de contre-indication médicale liée à une allergie ou autre pathologie. Mais il est important de promouvoir tous les groupes alimentaires. On y puise des nutriments différents : pas uniquement les protéines, glucides et lipides, mais aussi des vitamines et des minéraux essentiels pour notre santé.

Pas d’aliments interdits, mais une alimentation équilibrée

Recourir à un régime restrictif peut-il être dangereux ?

Effectivement les alimentations trop restrictives ou les régimes durs à tenir que l’on voit se développer aujourd’hui, à l’image du régime cétogène, peuvent être sources de déséquilibre nutritionnel. Et incidemment de pathologies à plus ou moins long terme. Les régimes “sans“, excluant gluten, viande ou lactose, sont à la mode. S’ils ne sont pas motivés par une nécessité médicale, ils ne seront pas conseillés par un diététicien nutritionniste, qui prône le respect des proportions, pas les interdictions !

Ces réflexes ne dérivent-ils pas d’une nouvelle éducation au bien manger ?

À l’ère de la malbouffe et des déséquilibres alimentaires, il est essentiel de s’orienter vers un rééquilibrage. C’est l’objectif des programmes nutrition santé lancés depuis les années 2000 pour lutter contre la hausse de l’obésité, du diabète ou autres maladies métaboliques. Mais on tend aujourd’hui à un rééquilibrage inverse, avec une tendance à la suppression de certains groupes alimentaires prétendument nocifs (viandes, poissons, produits laitiers…). C’est une dérive dangereuse pour notre santé.

Aliments soi-disant interdits : gare aux carences !

Sans parler des régimes drastiques, avez-vous des exemples courants ?

On entend qu’il faudrait consommer moins de viande rouge. Celle-ci contient du fer, et l’exclure totalement peut engendrer des carences martiales responsables d’anémies, pathologie très classique dans nos sociétés occidentales. Même constat pour les produits laitiers : sous prétexte de supprimer le lactose, certaines personnes excluent tous les produits laitiers, y compris ceux qui n’en contiennent pas ! Avec à la clé le risque de priver le corps de ses apports en calcium.

Cette évolution ne s’accompagne-t-elle pas de nombreuses idées reçues ?

C’est certain. L’intolérance au gluten, que l’on nomme aussi maladie cœliaque, touche une minorité de la population : moins d’1% des consommateurs. Beaucoup pensent donc que supprimer le gluten va les protéger de la maladie. Mais s’ils ne sont pas intolérants, cela n’a aucun intérêt ! On prétend aussi que le lactose serait responsable de migraines ou de douleurs articulaires, ce qu’aucune étude n’a démontré à ma connaissance. Par simple idée reçue, on va donc supprimer le lactose, et au passage tous les produits laitiers, dont beaucoup n’en contiennent même pas ! On entend même parfois que les produits laitiers provoqueraient le cancer, que les féculents favoriseraient la croissance des tumeurs… Cela n’a aucun fondement scientifique, mais cela se propage sur les réseaux sociaux…

Vous dénoncez les dérives d’une “alimentation médicale“, pourquoi ?

On parle aujourd’hui de plus en plus d’alicaments. Mais l’apport en nutriments n’est pas l’unique objectif de l’alimentation, qui est tout autant importante sur le plan physiologique que social, psychologique et hédonique. Observer un régime trop restrictif peut entraîner de la frustration et, à terme, conduire à un véritable isolement.

Aliments interdits : de la culpabilité aux troubles alimentaires

À quoi doit-on ces dérives ?

Nous sommes entrés dans une société de la culpabilisation. Les réseaux sociaux, les célébrités, les influenceurs… Tous ont un point de vue en matière de nutrition mais ils ne se rendent parfois pas compte de l’impact que cela a sur la société. Car au-delà de forger une société aseptisée, ces dérives peuvent s’avérer être des terrains fertiles à l’apparition de troubles alimentaires comme l’anorexie mentale ou la boulimie nerveuse.

Doit-on aussi se méfier des superaliments ?

La notion de superaliment est avant tout une notion purement marketing. De plus, ces aliments ou compléments sont généralement consommés en très faibles quantités (quelques grammes par jour). Ils ne peuvent donc pas se substituer à une alimentation diversifiée. Prenons la graine de chia : elle contient entre autre des omégas-3, des fibres et des minéraux. Mais ces nutriments sont contenus dans de nombreux aliments moins médiatisés, comme les graines de lin, de sésame ou les fruits à coque. Autre exemple avec la spiruline, jugée très riche en protéines : l’apport sous forme de complément serait au mieux de 5 grammes par jour, quand il en faudrait 200 grammes pour couvrir nos besoins ! L’impact sur notre santé est donc relatif. Il y a des effets bénéfiques, parfois psychosomatiques. Mais on peut tout aussi bien retrouver ces nutriments dans une alimentation équilibrée…

Apprenez à “manger en pleine conscience”

Quel conseil donneriez-vous à ceux qui souhaitent adopter une alimentation plus respectueuse de l’environnement ?

Avant toute chose, lorsque l’on souhaite mettre en place un régime particulier pour des raisons personnelles ou éthiques, il me paraît important d’être suivi médicalement et sur le plan nutritionnel. Et s’il fallait choisir un régime, je pencherais pour le régime flexitarien, qui propose un bon compromis entre bienfaits pour la santé et considérations environnementales. Il prône sans les exclure une consommation occasionnelle de viande et de poisson, ce qui permet de conserver les apports nécessaires et une certaine diversité alimentaire.

Après, il faut surtout s’informer convenablement : une personne qui observe un régime végétarien de manière intelligente et qui est en bonne santé ne prend pas de risque. Enfin, il faut savoir s’écouter : quand on est végétarien et que l’on salive devant de la viande rouge, c’est peut-être que le corps en a besoin !

Il faut donc, en résumé, apprendre à manger en pleine conscience, en appréciant les aliments que l’on consomme et en écoutant ses impressions. Remettre, en somme, les sensations alimentaires au cœur de l’assiette.

À SAVOIR

Nicolas Tête est diététicien, docteur en science de la vie et de l’environnement et professeur en nutrition à l’Institut Paul Bocuse (Écully, Rhône). L’Institut Paul Bocuse, qui forme chaque année 1000 étudiants au management des métiers de l’hôtellerie, de la restauration gastronomique et des arts culinaires, intègre depuis plusieurs années dans ses cursus une éducation aux bonnes pratiques alimentaires et à la science de l’alimentation.  La prestigieuse école lyonnaise a également ouvert en 2008 un centre de recherche scientifique sur l’alimentation, en charge notamment d’étudier les liens étroits entre nutrition et santé.

1 COMMENTAIRE

  1. En écrivant “L’intolérance au gluten, que l’on nomme aussi maladie cœliaque” vous faites grand tort à celles et ceux qui sont réellement cœliaques et dont les conditions alimentaires sont rendues encore plus difficiles par une tendance qui tient parfois de la mode à prétendre que l’on est intolérant au gluten. Ainsi si dans un restaurant vous dites que vous êtes cœliaque, trop souvent cela est interprété à la légère comme “intolérant” et vous vous retrouvez contaminé et souffrez durant des jours parce qu’une sauce annoncée “sans souci” contenait de la farine de blé.

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