Le lien social rempart à la dénutrition en Ehpad.
Une enquête menée par l'Institut Nutrition de Lyon a révélé toute l'importance du lien social sur l'appétit des séniors, notamment en période d'épidémie. ©Freepik

L’épidémie de Covid-19, avec le durcissement des mesures de protections sanitaires, a renforcé l’isolement des personnes âgées. Et avec lui son risque numéro un, celui de la dénutrition des séniors. Un constat confirmé par une étude de l’Institut Nutrition, à Lyon, qui s’est penché sur l’évolution des comportements alimentaires dans les Ehpad depuis le début de la crise. Premier enseignement, la nécessité de favoriser au maximum le lien social, facteur clé de l’appétit des séniors.

L’épidémie de Covid-19 a bouleversé comme jamais les habitudes des Français. Celles de la table, notamment, et dans des proportions parfois inquiétantes, comme le révèle la hausse des cas de dénutrition chez les personnes âgées. Soudainement confinés, isolés chez eux ou dans leur Ehpad, nombre de séniors ont perdu leurs repères alimentaires. Avec à la clé des conséquences potentiellement dramatiques pour cette population fragile.

“Lors du premier confinement, on a beaucoup parlé des personnes qui ont grossi. Mais on a passé sous silence le fait que certaines ont aussi beaucoup maigri”, confirme le Professeur Éric Fontaine. Le responsable de l’unité de nutrition artificielle du CHU de Grenoble, qui préside aussi le collectif de lutte contre la dénutrition, ne pointe pas ici les patients atteints du Covid-19, bien identifiés. “À l’hôpital, 30% des malades sont dénutris. Ce taux est monté à 70% chez les patients hospitalisés pour Covid. Mais là, on parle de personnes âgées qui n’ont pas été malades”.

La dénutrition amplifiée par la peur de sortir

Par peur et par respect des consignes, nombre de séniors sont restés cloîtrés chez eux. “Sans généraliser, certains ont clairement maigri car ils ne sortaient plus et ne faisaient plus leurs courses”, ajoute le médecin isérois. La limitation des visites de proches, susceptibles de repérer les signes qui alertent, et les effets sur le moral ont amplifié le phénomène. Les conséquences de cet isolement forcé ont donc pu être lourdes, chez des séniors potentiellement déjà victimes de dénutrition.

La France compte en effet deux millions de personnes dénutries. 5 à 10% des personnes âgées résidant à domicile sont dans ce cas de figure, tout comme 30 à 40% des résidents en Ehpad. Basé à Lyon, l’Institut Nutrition s’est ainsi penché sur l’évolution des comportements alimentaires des résidents en Ehpad depuis le début de l’épidémie. Selon les résultats d’une enquête réalisée du 20 juillet au 30 octobre, dévoilés le 24 novembre, 58% des résidents en Ehpad ont témoigné d’une évolution de leurs habitudes. Et pas forcément positive.

La rupture du lien social facteur de dénutrition

L’isolement en chambre pour la prise des repas les a sans doute préservé du virus, mais a aussi supprimé les bienfaits d’un moment de partage collectif. 16% des professionnels interrogés ont ainsi évoqué des pertes d’appétit. “Le manque de lien social fut un déterminant clé sur le manque d’appétit”, livre Anne Moreau, directrice générale de l’Institut Nutrition. “Une personne dénutrie est plus vulnérable face à la Covid-19 et ses conséquences. Sa lutte contre le virus sera moins efficace. le risque d’une réponse immunitaire inappropriée augmente, tout comme le risque d’un pronostic vital”.

L’objectif, pour l’organisme, était donc de “dégager des lignes d’actions utiles pour agir de façon plus appropriée en cas de nouveaux risques sanitaires”.

De l’expérience de cette crise sanitaire sans précédent seront en effet tirées de judicieux enseignements. “Déjà, on a appris du premier confinement. On a su agir mieux pour le deuxième, en isolant non plus par chambre, mais par étage, avec un renouveau du lien social”, explique Patrick Sorbier, responsable de la restauration pour le groupe ACPPA, gestionnaire de nombreux Ehpad en Auvergne-Rhône-Alpes. “Avec le manque d’activités et le peu de visites, il fallait que le repas procure encore plus de plaisir que d’habitude. Nous sommes parfois allés loin, en respectant moins l’équilibre. Mais au moins, nos résidents mangeaient!”

Nouveaux confinements : comment faire coïncider protection sanitaire et vie collective?

Devenue parfois seule détente quotidienne, l’alimentation a clairement un rôle à jouer en période de confinement ou de mesures sanitaires restrictives. Et de plus en plus au cas par cas, ce qui est nouveau dans ce type d’établissements. “Si le collectif impose la règle, il y a derrière nos fourneaux le challenge de répondre aux attentes personnalisées”, note Anne Moreau. Certains résidents, trop fatigués, préfèrent prendre leur dîner dans leur chambre ? “Le repas du déjeuner peut rester collectif, et celui du soir se scinder selon les préférences. cela pousse loin dans les réflexions, y compris dans la conception même des futurs Ehpad”, relève Patrick Sorbier.

Des enseignements à tirer des précédents confinements

En attendant, les principales leçons tirées de ce sondage en Ehpad sont claires. Pour 58,5% des sondés, favoriser les repas en collectivité, et pour 28,5% donner la priorité au plaisir et au respect des goûts. Et ce dans un environnement où les règles sanitaires, pourtant, se doivent d’être encore plus strictes qu’ailleurs. Alors, compatible ? “Concilier les règles sanitaires avec le besoin de convivialité est difficile”, reconnaît le Pr Claude Jeandel, gériatre au CHU de Montpellier. Mais pas impossible, avec beaucoup de “vigilance” et de “distanciation”, en “faisant en sorte que les lieux soient aérés, désinfectés régulièrement...”

Une chose est certaine, l’incertitude de l’avenir incite à anticiper ce type d’aménagements. De nouvelles vagues épidémiques, et avec elles de nouveaux confinements, sont probables dans les mois et années à venir. Le challenge est là, aussi.

À SAVOIR

L’Institut Nutrition, situé à Lyon-Gerland, a été fondé en février 2020 sur les bases d’une association créée en 2017. Il s’agit de la fondation du groupe Restalliance, entreprise de restauration collective spécialisée dans les établissements de santé et Ehpad. La vocation de cette fondation est d’analyser les comportements alimentaires des publics âgés et fragilisés pour améliorer leur nutrition et, notamment, lutter ainsi contre le phénomène de dénutrition.

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