La peur de l'attentat reste présente chez de nombreux Français.
Les attentats à Paris ont créé un sentiment de malaise, voie d'angoisse ou de stress, qu'il ne faut pas négliger ©Geralt

Peur des autres, angoisses, cauchemars… Les attentats de Paris ont généré de multiples émotions dans la population. Comment faut-il réagir face à ces événements ? Comment se traduit le stress post-traumatique ? Les explications de deux psychologues lyonnais réputés.

Les attentats à Paris ont touché tout le monde, à des degrés différents. Peut-on parler d’un climat de stress généralisé ?

Stéphanie Bertholon : Le stress est la réponse physiologique de la peur. Il s’est effectivement répandu à mesure que les informations sont arrivées et que les médias ont délivré des images qui ont « permis » à chacun de se projeter et de s’identifier. Plusieurs attaques sur des civils dans des lieux ordinaires forcent cette identification. La peur est donc légitime et se manifeste par du stress. Un stress non pathologique, normal, qui est le signe que notre cerveau travaille à faire face à cette menace. La circulation des photos de victimes ainsi que des messages personnels des proches provoquent nécessairement la compassion chez tous. Cette compassion, si humaine soit-elle, favorise ce stress.
Michel Valette-Rossi : Le stress est plus ou moins généralisé. Les personnes qui ont été en contact visuel, affectif et corporel avec l’événement forment une sorte d’épicentre. Ensuite, l’impact de l’événement sur des personnes qui ne sont pas directement concernées dépend aussi de la sensibilité de chacun, ainsi que de la présence d’un terrain anxieux au départ.

Après les attentats, le stress et la colère

Quelles sont les manifestations de ces angoisses ?

Stéphanie Bertholon : Un sentiment d’insécurité, une sensation d’oppression dans la poitrine. Des pensées obsédantes à propos des attentats, parfois des cauchemars. Le sommeil est globalement perturbé. Pour ceux qui ont été exposés directement aux attentats, en plus des manifestations ci-dessus, l’évènement est sans cesse revécu par des flashs backs, une détresse intense lorsqu’ils en parlent (ils peuvent vouloir éviter d’en parler pour ne pas réactiver la peur), une peur de revivre la situation (impression d’être sur le qui-vive…), voire un évitement des lieux où se sont passés les attentats.
Michel Valette-Rossi : L’angoisse est une émotion qui se vit dans le corps, c’est la différence avec un sentiment qui est une construction mentale. Avec cet attentat, nous allons retrouver trois émotions majeures chez les gens qui vont prendre plus ou moins de place : la tristesse avec les pleurs, la peur et la colère. La colère vient justement souvent remplacer la tristesse dans un second temps. Il faut voir que la peur nous prépare au combat en nous rendant hyper vigilants (augmentation du rythme cardiaque, tension musculaire etc.) Elle a donc du sens et n’est pas à rejeter en bloc. La sidération, qui a touché les victimes directes de l’attentat, leur a aussi permis de survivre en « faisant les morts ». Bien entendu, le stress qui est une compétence adaptative ne doit pas prendre le pas sur toute la vie de l’individu et s’installer dans le temps, ce qui conduirait à une « suradaptation ».

Besoin de se protéger

Les attentats ont eu lieu à Paris, mais tout le monde se sent concerné. Comment combattre cette sensation de n’être à l’abri nul part ?

Stéphanie Bertholon : Il ne s’agit pas de la combattre mais de tolérer cette incertitude et cette impuissance dans lesquelles ces attentats nous ont plongés. Les personnes anxieuses tolèrent mal les incertitudes et voudraient pouvoir contrôler leur vie. Or la vie est faite d’incertitudes que nous devons tolérer. Nous ne savons finalement jamais de quoi demain sera fait. Ces attentats mettent en évidence cette situation et font peur. Ce qui active de fait notre besoin de nous protéger. Mais nous ne pouvons pas contrôler grand-chose. Si ce n’est d’adopter une certaine vigilance utile en pareil moment.
Michel Valette-Rossi : Ce qui a été marquant avec cet attentat est que l’on a bien pris conscience que n’importe qui pouvait être visé. La possibilité d’être touché est donc à son comble. Mais il faut malgré tout remettre en perspective la probabilité d’être victime. Cela peut contribuer à apaiser les esprits. Le sentiment de sécurité se joue à titre individuel mais aussi dans le discours des autorités qui représentent une forme d’identité paternelle pour le pays. En Rhône-Alpes, l’annulation de la fête des lumières prouve bien que l’on ne peut pas dire que tout va bien. Il y a donc une sorte d’injonction contradictoire avec le fait qu’il faille reprendre une vie normale. Et effectivement, c’est ce qu’il faut faire car cela permet de se mettre à distance de l’événement…. tout en maintenant une certaine vigilance !

Le syndrome du stress post-traumatique 

On a pas mal entendu parler de stress post-traumatique suite aux attentats. De quoi s’agit-il exactement ? Concerne-t-il uniquement les personnes qui ont assisté à la scène ?

Stéphanie Bertholon : Le stress post-traumatique  peut être avancé si une personne a été exposée ou témoin d’une menace de mort, de blessures ou de l’intégrité physique pour soi ou les autres ainsi qu’une peur intense, un sentiment d’horreur ou d’impuissance. A cela sont associés :
1. des symptômes d’activation (sommeil perturbé, irritabilité, hyper vigilance, sursauts…)
2. l’évènement est sans cesse revécu par des souvenirs intrusifs, flashs back, cauchemars, peur lorsque la personne est confrontée à un élément du traumatisme (comme entendre un bruit fort, s’installer en terrasse, aller à un concert/match…)
3. Un évitement des situations rappelant un ou plusieurs éléments du trauma. Le fait d’éviter d’en parler peut aussi faire partie des symptômes.
Il faut que ces 3 types de symptômes soient présents sur une période d’un mois pour parler de stress post-traumatique.
Avant ce délai, on parle de stress aigu, réaction normale de l’organisme face à cet évènement.
Il est considéré que ce trouble touche 1% de la population générale. Mais 15% des militaires en opération. Toute personne exposée ne développe pas de stress post-traumatique.
Le fait d’être témoin par les médias des attentats peut bien sûr sensibiliser des personnes qui n’ont pas été directement impliquées mais de façon probablement moins grave que ceux ayant été victimes. Et parmi les victimes une majorité ne souffrira pas de stress post-traumatique.
Les témoins peuvent éprouver une compassion importante (générant l’identification) et une grande impuissance, donnant parfois lieu à un sentiment de culpabilité. C’est le soucis « excessif » de ceux qui ont souffert, associé à un sentiment de responsabilité de les aider qui peut faire le lit d’un trauma dit « par procuration » qui se révèle avec le temps… Il a été observé chez les intervenants humanitaires.

Qu’en est-il pour les policiers, équipes de secours, qui ont été au contact direct de cette scène terrifiante ?

Michel Valette-Rossi : On estime que le stress post-traumatique va toucher 20 à 35% des gens qui ont vécu la scène directement ou indirectement (comme les voisins par exemple). Les soignants et policiers sont en première ligne et particulièrement soumis au risque de développer ce trouble. Les urgentistes sont très exposés. Heureusement, les débriefings permettent de baisser le taux émotionnel, et cette population est davantage exposée à la prévention de ce trouble. Toutefois, beaucoup normalisent leurs symptômes qui peuvent alors se réactiver beaucoup plus tard car ils n’auront pas été traités. En France, nous sommes plutôt en retard sur ce sujet.

Attentats et surinformation, savoir déconnecter

En ce moment, nous sommes tous rivés sur nos smartphones et sur les chaînes d’info : faut-il se forcer à déconnecter ?

Stéphanie Bertholon : Il est difficile de répondre à cette question. Trop se connecter peut parfois sensibiliser certaines personnes, mais éviter volontairement peut aussi renforcer la peur donc il faudrait pouvoir trouver le juste milieu. Se connecter quand on en ressent le besoin, mais savoir lâcher sans culpabiliser. Si l’on se connecte pour ne pas se sentir coupable de continuer à vivre sa vie, cela peut compliquer notre rapport à l’évènement. Je peux aussi vous dire que notre cerveau s’habituera de toute manière naturellement à mesure que le temps passera et que les informations à ce sujet seront plus diluées parmi les autres.
Michel Valette-Rossi : Le papier permet de mettre davantage de distance mais les chaînes en continu nous mettent dans un état hypnotique et il est difficile d’en décoller. Cela peut avoir des conséquences négatives avec une certaine confusion entre le virtuel et le réel, et une augmentation du sentiment d’insécurité avec des pensées obsessionnelles qui pourront amener la personne à se replier sur elle-même. A l’inverse, regarder ces chaînes d’info peut aussi produire une forme de désensibilisation par habituation chez certains.

“Faire confiance à notre cerveau”

 Quels sont vos conseils pour passer cette épreuve et retrouver de la sérénité ?

Stéphanie Bertholon : Il est compliqué d’apporter des conseils bons pour tout le monde ! Chacun est tellement différent. Ce que je peux dire c’est de nous écouter pour évaluer le niveau de stress que nous ressentons. Celui-ci devrait diminuer avec le temps qui passe, de façon normale. Donc normaliser nos réactions dans cette période (très proche des attentats). Accepter de vivre nos émotions. Poursuivre le plus possible nos habitudes de vie. Ne pas trop éviter les sujets, lieux rappelant les évènements (pour les Parisiens surtout). Si l’angoisse devait se maintenir au-delà d’un mois après les attentats et amener la personne à changer ses habitudes de vie, ne pas hésiter à consulter. Mais globalement, faire confiance à notre cerveau, programmé pour faire face aux difficultés si l’on veut bien accepter les réactions physio/psychologiques qu’il engendre.
Michel Valette-Rossi : Comme je le disais tout à l’heure, commencer déjà par ne plus être dans l’hyperconnectivité afin d’être moins dans une situation d’exposition pathogène. Aussi, le temps fait son oeuvre. Il ne faut pas hésiter à en parler, avec un professionnel ou non, pourquoi ne pas tenter une séance de sophrologie, de relaxation, d’hypnose, d’EMDR… Il faut continuer à vaquer à ses occupations. Cela permet de se rendre compte que les gens en font de même et c’est apaisant. La vigilance est aussi de mise, chacun peut veiller sur l’autre. Les interactions bienveillantes avec les gens font du bien. Ce type d’événement permet aussi de recentrer nos priorités dans la vie.

A savoir

Les attentats du 13 novembre 2015, à Paris, ont fait 130 morts, plus de 350 blessés dans leur chair mais aussi des milliers de blessés psychologiquement, dont de nombreux témoins directs ou indirects des attaques terroristes dans les 10e et 11e arrondissements de la capitale, en particulier au Bataclan.

 

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